confiance médicale

Dans les médias, la confiance du public apparaît régulièrement comme le baromètre des événements touchant le monde médical. Mais qu’est-ce que la confiance signifie pour les patients eux-mêmes?

La confiance dans son médecin


Cette notion s’accompagne rarement d’une clarification de ce que la confiance signifie pour les patients eux-mêmes.
Fondamentalement, la confiance désigne ce «quelque chose» qui permet qu’une relation se déroule dans un climat relativement serein. En quelque sorte, la confiance sert à «lubrifier» les rapports sociaux et les interactions de face-à-face.

Dans la pratique médicale, elle est fondamentale, permettant au patient de surmonter son ignorance et sa dépendance, et d’atténuer l’inquiétude et l’incertitude quant à son état de santé.

On peut se demander s’il existe des manières différentes d’avoir confiance en son médecin.

Le médecin c’est celui qui sait



La confiance "cléricale" se caractérise par une forte asymétrie entre le malade profane et le praticien.

Le statut d’expert du médecin est pleinement reconnu par le patient et celui-ci se considère comme tout à fait incompétent dans le domaine de la santé et des maladies.

La division du travail est clairement affirmée; «il vaut mieux laisser faire celui qui sait».

Le malade profane se définit ici comme patient au sens classique du terme. La docilité se reflète notamment dans la compliance. Il n’est pas question de négocier le traitement ni de transgresser les instructions du médecin.

«C’est lui le médecin, c’est pas moi (…) Moi je viens pour me faire soigner et puis c’est tout (…) Je suis le malade à qui on dit: ‹il faut prendre une pilule par jour›, eh bien je prends une pilule par jour, je prends pas la moitié ni deux (…) c’est lui qui sait combien je dois prendre».

Le profane s’en remet à son médecin et se garde de tout jugement sur la qualité de son travail. En outre, il n’attache guère d’importance au style relationnel du praticien ou à sa manière d’être avec le patient. Ces aspects sont parfois qualifiés de «détails», l’essentiel étant de savoir de quoi on souffre et d’être bien soigné.

La confiance "cléricale" est fondée sur une présomption forte de la compétence des médecins en tant que groupe professionnel. Cette confiance est donc avant tout statutaire; si je fais confiance à mon médecin, c’est d’abord parce que a priori j’ai confiance dans les médecins en général. Les qualifications et les diplômes constituent des garanties du savoir-faire et des gages de la fiabilité de ceux «qui ont étudié», qui «connaissent leur affaire».

Si la
confiance pragmatique se base sur la même présomption forte dans le savoir-faire des professionnels, le patient a ici une attitude moins passive que dans le cas précédent.

La confiance a priori ne débouche pas sur une délégation complète envers le médecin que l’on consulte. Ici le praticien est surtout évalué en fonction de sa capacité à poser le diagnostic et à traiter rapidement le problème concret du patient.

Et si le patient a le sentiment que les choses traînent, l’insatisfaction et le doute s’installent. Sans pour autant remettre en cause la compétence du praticien, le patient estime qu’il vaut la peine d’en consulter un autre dès lors que la coopération initiale n’a pas porté ses fruits. Il ne s’agit pas de méfiance mais plutôt de vigilance sur fond de confiance;

«au moment où on va chez le médecin, la confiance doit être entière (…) on est obligé de lui faire confiance … au moins au début, après c’est les résultats qui le doivent … mais disons que je serais pas pour une confiance aveugle, de dire: bon, ben je suis malade … voilà, il me prescrit ça, six mois après, je suis dans le même état … puis … il est médecin, il sait tout … là non plus. Mais ça, c’est pas évident.»

Le statut joue certes un rôle important, mais la confiance dans un médecin particulier dépend ici surtout de la démonstration en acte de ses compétences.

Le rôle actif du patient consiste alors principalement à «faire jouer» les avis de différents experts.

«On dit toujours deux avis valent mieux qu’un, si l’autre vous dit exactement la même chose ben vous êtes tranquille, par contre, s’il vous dit le contraire… alors là y aura des doutes, puis des doutes des deux côtés, parce que qui c’est qui a raison, au pire faudra aller voir un troisième».

Un médecin choisi avec soin



La confiance affinitaire présente une logique très différente des deux types précédents dans la mesure où la présomption de compétence dans les médecins s’avère largement insuffisante.

La dimension humaine de la relation thérapeutique joue ici un rôle déterminant.

Les attentes de soutien moral, de sollicitude et d’écoute sont explicites et font partie de la définition du bon praticien.

Le médecin se voit en outre souvent attribuer une mission de prévention et d’éducation à la santé.

On attend du médecin qu’il soigne le corps mais également qu’il prenne en considération la personne dans sa globalité psychosociale.

Le bon médecin est alors parfois défini comme quelqu’un qui a de l’intuition et qui sait «sentir certaines choses».

Mais la condition essentielle est que
«le courant passe», qu’il y ait une entente marquée entre les deux protagonistes.

Loin de se contenter de n’importe lequel et quitte à en
«tester» plusieurs, le patient met un soin particulier à trouver le bon médecin – «la perle» – en fonction de ces critères affinitaires.

Fondée non pas sur l’identité statutaire ou l’efficacité thérapeutique mais sur la personnalité du praticien, la confiance affinitaire se forge dans la dynamique interpersonnelle du colloque singulier et au fil des consultations.

Des rôles bien définis



Dans la confiance professionnelle, les patients ont une vue très claire de ce qu’ils attendent de leur médecin, mais leur conception du bon praticien a un contenu très différent du type affinitaire.

Cette définition est structurée par l’image que ces patients ont du rôle formel d’un «professionnel» et des normes de conduite qui y sont attachées.

Cette représentation s’oppose d'une part à une relation dans laquelle le praticien joue le rôle d’assistant social ou de confesseur qui prête une oreille compatissante aux soucis personnels de ses patients. D’autre part elle s’oppose également à une relation paternaliste, dans laquelle le malade n’a pas voix au chapitre sous prétexte qu’il est un profane et que l’expert doit être seul maître à bord.

Partant de cette double critique, on attend du médecin qu’il s’en tienne strictement à ses qualifications. Ce qui fait ici sa valeur, c’est moins sa gentillesse ou son charisme que ses compétences techniques et son expérience.

Son rayon d’action doit se limiter aux désordres organiques, les soins holistiques ne relevant pas de ses attributions;

«on ne va pas chez le médecin pour être rassuré, on va chez le médecin pour être soigné (…) on n’y va pas parce qu’on a des problèmes personnels, on y va parce qu’on n’est pas bien, et c’est à lui de voir qu’on croit qu’on n’est pas bien parce qu’on a des problèmes psychologiques et puis il nous envoie ailleurs …».

Mais c’est le rapport égalitaire avec le médecin qui est au cœur de la confiance professionnelle.

Le patient doit pouvoir librement poser des questions, recevoir une information transparente et avoir son mot à dire dans les décisions thérapeutiques.

Un malade disait :
«si je vais chez un médecin qui me prescrit tel ou tel médicament, je pose une question, puis il dit: ‹non, vous verrez, c’est bon!›, je lui dis: ‹écoutez Monsieur, moi je ne prends pas n’importe quoi n’importe comment! Vous me donnez des explications, autrement je vais chez quelqu’un d’autre qui m’expliquera pourquoi!› (…) je pense qu’il est nécessaire qu’on prenne les gens en considération … c’est normal qu’il y ait une espèce de respect réciproque entre les gens, pour moi c’est fondamental (…) j’estime absolument indispensable qu’il prenne le patient non seulement pour un client mais pour un individu face à lui qui a ses raisons, auquel on doit expliquer les décisions et dont l’avis a de l’importance.»

L’attitude active ou même critique que revendique le patient équivaut moins à une remise en cause du savoir du médecin qu’à l’établissement d’un rapport de pouvoir équilibré.

Le rôle actif vis-à-vis du médecin est ici une condition déterminante de la confiance.

Le droit à l’erreur



La confiance rationnelle présente une logique encore différente, puisqu’ici la confiance dépend de l’attitude du généraliste vis-à-vis de son savoir et de la façon dont il conçoit la pratique médicale.

Les malades de ce type soulignent leur attachement à une médecine scientifique et rationnelle.

Pourtant, ce n’est pas une vision «positiviste» de la science, faite de certitudes, qui est ici valorisée, mais une conception réaliste.

L’incertitude et le risque sont en effet pleinement reconnus comme des composantes inhérentes à une discipline qui doit faire la jonction entre les sciences naturelles et la complexité du corps humain.

On souligne alors volontiers que le travail du médecin n’a le plus souvent rien de mécanique;

«on a demandé à la science d’avoir des certitudes sur tout, de pouvoir donner des solutions définitives sur tout (…) je crois que maintenant il faut devenir un peu humble, la science n’a pas réponse à tout, il y a une démarche mais à un moment donné il y a des prises de décisions dans un cadre qui reste un cadre d’incertitude … on a beaucoup affirmé de choses qui ont été démenties par la suite … c’est propre à la science».

Cette démythification de la toute-puissance médicale retentit directement sur la relation thérapeutique.

Le patient attend en effet du praticien qu’il partage la même approche.

Le bon médecin est celui qui assume que son métier est plus un art qu’une science exacte, et qui accepte l’échec et les limites de son savoir.

Dans ces conditions, le médecin a le «droit de se tromper» pour autant que la démarche médicale ait été rigoureuse et conforme aux connaissances en vigueur.

Le crédit dans le médecin est alors d’autant plus grand qu’il fait preuve de transparence et d’humilité;

«moi je ne demande pas que le médecin se justifie – mais j’aime comprendre quelle démarche il a faite qui l’a amené à penser qu’il fallait poser tel acte, et ensuite si l’acte n’a pas eu le résultat qu’on attendait, au moins je peux me dire ‹eh bien, d’accord, il a fait une démarche, elle était logique, à sa place, j’aurais procédé de la même façon›, donc il est capable de m’expliquer le pourquoi de sa démarche (…) à partir du moment où je comprends sa démarche, je suis prêt à accepter que ça se passe … personne ne peut garantir 100% de guérison».

Dans la confiance rationnelle, la fiabilité du praticien est à la mesure de la reconnaissance de sa propre faillibilité et de celle de ses connaissances.

Conclusion



La période actuelle est marquée par les évolutions de la médecine elle-même mais aussi par celles de la société.

La diversification des identités et des attentes des patients retentit indéniablement sur la relation thérapeutique.

Les différentes manières de faire ou d’avoir confiance en son médecin illustrées ici sont loin d’être exhaustives, mais elles reflètent en partie l’hétérogénéité des attitudes profanes à l’égard du monde médical.

Cette déclinaison des confiances des patients n’est pas dissociable de la diversité des médecins eux-mêmes, dans leurs manières de pratiquer la médecine et de conjuguer les attentes liées à leur identité complexe d’homme de relation, de savoir et d’action.

Dès lors que les conceptions du bon médecin peuvent varier considérablement d’un profane à l’autre, le médecin peut être amené ou incité à adapter ses modes d’être et de faire en fonction des patients qu’il reçoit.

La définition objective du bon professionnel s’en trouve alors d’autant plus difficile, sans compter que la confiance du malade en son médecin n’est pas nécessairement synonyme de soins de qualité.
Source : R.Hammer, Dr en sociologie
L'AFRH est présente sur tous les réseaux sociaux. Inscrivez-vous, abonnez-vous, commentez, proposez. Soyons unis !